Battling Siki, de son vrai nom Louis Mbarick Fall, est entré dans l’histoire comme le premier boxeur africain à remporter un titre de champion du monde. Né au Sénégal en 1897 et mort tragiquement à New York en 1925, son parcours exceptionnel et sa personnalité flamboyante en ont fait une figure légendaire de la boxe du début du 20e siècle. Découvrons la vie mouvementée et la carrière fulgurante de ce pionnier oublié.

Biographie de Battling Siki

Origines et jeunesse au Sénégal

Louis Mbarick Fall naît le 16 septembre 1897 à Saint-Louis, dans le quartier des pêcheurs de Guet Ndar, au Sénégal, alors colonie française. Son père, Assane Fall, est pêcheur ou charpentier selon les sources. Sa mère se prénommerait Oulimata. Le jeune Mbarick grandit dans une famille nombreuse, son père ayant six épouses et vingt-deux enfants.

Comme beaucoup d’enfants de Saint-Louis à l’époque, il fréquente l’école coranique dans sa jeunesse. Turbulent et débrouillard, il survit en plongeant du haut d’une falaise pour récupérer les pièces de monnaie jetées par les touristes dans la mer. C’est lors d’une de ces exhibitions qu’il est remarqué par une danseuse hollandaise de passage, Elaine-Marie Holtzmann-Gross, qui décide de l’emmener avec elle en Europe.

Arrivée en France et débuts dans la boxe

Les circonstances exactes de son arrivée en France vers 1907-1908 restent floues. Selon certaines versions, il aurait été abandonné à Marseille par sa protectrice, ne pouvant l’emmener avec elle pour des raisons administratives. Le jeune Sénégalais, alors âgé d’une dizaine d’années, se retrouve livré à lui-même dans les rues de la cité phocéenne.

Pour survivre, il enchaîne les petits boulots : plongeur dans un bistrot, ouvreur de portières, docker sur les quais… C’est dans ce contexte qu’il découvre la boxe, fréquentant la salle du Premierland marseillais où il s’initie au noble art sous la direction de Paul Latil. Il poursuit son apprentissage à Toulon avec Honoré Bruyère, puis à Nice où il rencontre l’ancien boxeur amateur Gideon Gastaud.

C’est ce dernier qui lui propose de passer professionnel et lui trouve son nom de ring : Battling Siki. Certains affirment que ce surnom viendrait de son cri de guerre “Siggil !” (qui signifie “Relève la tête !” en wolof) qu’il lançait à ses adversaires. D’autres y voient un hommage à un ancien chef nyamwezi.

Première Guerre mondiale

La carrière naissante de Battling Siki est interrompue par le déclenchement de la Première Guerre mondiale en 1914. Bien que les Sénégalais ne soient pas appelés sous les drapeaux, il s’engage volontairement dans l’armée française. Incorporé au 8e régiment d’infanterie coloniale puis au 73e régiment d’ALGP, il combat avec bravoure sur plusieurs fronts :

  • Bataille des Dardanelles
  • Bataille de la Somme
  • Bataille de Verdun

Son courage lui vaut plusieurs décorations :

  • La Croix de guerre avec deux palmes
  • La Médaille militaire

Il termine la guerre avec le grade d’adjudant. Cette expérience du front forge son caractère et lui apporte une notoriété certaine à son retour à la vie civile.

Ascension fulgurante après-guerre

À la fin des hostilités, Battling Siki reprend sa carrière pugilistique à Toulouse, où il travaille comme chasseur à la brasserie l’Albrighi. Il enchaîne les victoires dans le Sud-Ouest avant de monter à Paris en 1920, où il se fait rapidement un nom sur la scène boxe française.

Entre 1920 et 1922, il accumule les succès face aux meilleurs boxeurs européens, s’imposant comme un prétendant sérieux au titre mondial. Sa boxe spectaculaire et son personnage haut en couleur en font une attraction dans le Paris des Années folles.

Le combat qui change tout : victoire sur Georges Carpentier

Le 24 septembre 1922 restera comme la date la plus importante de la carrière de Battling Siki. Ce jour-là, au stade Buffalo de Montrouge, il affronte la grande idole française Georges Carpentier, champion du monde des mi-lourds. Devant 40 000 spectateurs médusés, Siki terrasse Carpentier au 6e round d’un magistral uppercut du droit.

Malgré une tentative de l’arbitre de le disqualifier, la pression de la foule oblige à proclamer Siki vainqueur et nouveau champion du monde. C’est un véritable séisme dans le monde de la boxe : pour la première fois, un Africain devient champion du monde, brisant les barrières raciales de l’époque.

Gloire éphémère et descente aux enfers

Malheureusement, ce triomphe marque aussi le début des ennuis pour Battling Siki. Rapidement, des rumeurs de match truqué circulent. Le boxeur lui-même déclare qu’il devait initialement se coucher au 4e round. Ces révélations, couplées à son comportement jugé excentrique, lui valent d’être suspendu par la Fédération française de boxe.

Contraint de s’exiler, il part défendre son titre en Irlande en mars 1923 face à Mike McTigue. Dans des conditions rocambolesques (le combat a lieu pendant la guerre civile irlandaise), il s’incline aux points après 20 rounds. Cette défaite marque la fin de son règne éphémère.

Exil aux États-Unis et fin tragique

En août 1923, Battling Siki s’embarque pour les États-Unis, espérant y relancer sa carrière. Mais dans l’Amérique ségrégationniste des années 1920, le boxeur français d’origine sénégalaise peine à trouver sa place. Ses frasques et son goût pour l’alcool n’arrangent rien.

Le 15 décembre 1925, Battling Siki est retrouvé mort dans une rue de New York, abattu de deux balles dans le dos. Il n’avait que 28 ans. Les circonstances exactes de son assassinat n’ont jamais été élucidées, alimentant la légende noire du boxeur.

Style de boxe et personnalité

Un style de combat atypique

Le style de boxe de Battling Siki était à l’image de sa personnalité : imprévisible et spectaculaire. Voici les principales caractéristiques de sa technique :

  • Garde basse : contrairement à l’orthodoxie de l’époque, Siki combattait souvent les mains baissées, comptant sur ses réflexes et son jeu de jambes pour éviter les coups.
  • Puissance de frappe : doté d’une force physique impressionnante, il était capable de mettre KO ses adversaires d’un seul coup.
  • Vitesse : malgré sa musculature, Siki était extrêmement véloce, surprenant ses opposants par la rapidité de ses enchaînements.
  • Endurance : formé à la dure école des rings de foire, il pouvait tenir un rythme élevé sur la durée.
  • Style peu académique : certains commentateurs de l’époque jugaient sa boxe “primitive”, mais elle s’avérait redoutablement efficace.

Une personnalité flamboyante

En dehors du ring, Battling Siki était connu pour son exubérance et son goût pour la provocation. Quelques anecdotes illustrent son caractère haut en couleur :

  • Il se promenait parfois dans les rues de Paris avec un lion en laisse.
  • Amateur de beaux vêtements, il arborait des costumes tape-à-l’œil et des bijoux clinquants.
  • Grand amateur de champagne, il lui arrivait de faire des virées nocturnes mémorables dans les cabarets parisiens.
  • Ses apparitions publiques provoquaient souvent des attroupements, voire des émeutes.

Cette image de “sauvage” cultivée par la presse de l’époque cachait en réalité un personnage plus complexe : Siki parlait cinq langues et faisait preuve d’une grande intelligence sociale malgré son manque d’éducation formelle.

Palmarès et principaux combats

Bilan de carrière

Le bilan exact de la carrière de Battling Siki est difficile à établir avec certitude, les archives de l’époque étant parfois lacunaires. Voici néanmoins un récapitulatif de son palmarès professionnel :

Total de combats Victoires Défaites Nuls No contest
88 64 (34 KO) 19 (7 KO) 4 1

Titres remportés

  • Champion du monde des poids mi-lourds (1922-1923)
  • Champion d’Europe des poids mi-lourds (1922-1923)
  • Champion de France des poids mi-lourds (1922-1923)

Combats marquants

Date Adversaire Résultat Titre en jeu Lieu
24/09/1922 Georges Carpentier Victoire KO 6 Titre mondial mi-lourds Stade Buffalo, Montrouge
17/03/1923 Mike McTigue Défaite aux points Titre mondial mi-lourds Dublin, Irlande
20/11/1923 Kid Norfolk Défaite aux points Madison Square Garden, New York
13/03/1925 Paul Berlenbach Défaite KO 10 Madison Square Garden, New York

L’héritage de Battling Siki

Un pionnier oublié

Malgré son statut de premier champion du monde africain de l’histoire de la boxe, Battling Siki est longtemps resté un oublié de l’histoire du sport. Plusieurs facteurs expliquent cette relative occultation :

  • Le contexte colonial de l’époque, peu enclin à célébrer un athlète noir ayant battu un champion blanc
  • Sa personnalité controversée et sa fin tragique qui ont éclipsé ses exploits sportifs
  • Le fait qu’il n’ait détenu son titre mondial que quelques mois

Ce n’est qu’à partir des années 1990 qu’un regain d’intérêt pour sa figure s’est manifesté, notamment avec le rapatriement de sa dépouille au Sénégal en 1993.

Influence sur les générations suivantes

Malgré cet oubli relatif, Battling Siki a ouvert la voie à de nombreux boxeurs africains et afro-descendants. Son exemple a inspiré des champions comme :

  • Ray “Sugar” Robinson
  • Archie Moore
  • Muhammad Ali

Au Sénégal, il est considéré comme un héros national et une source de fierté. Son parcours illustre les possibilités d’ascension sociale par le sport pour les athlètes issus des colonies, tout en mettant en lumière les difficultés et les discriminations auxquelles ils étaient confrontés.

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