Il fut un temps où l’émission « The Gloves Are Off » représentait l’une des rares occasions pour les fans d’entrevoir ce qui se tramait dans la tête des boxeurs avant un combat. Dans une pièce sombre, sans distraction, avec pour seul décor une table, les boxeurs se retrouvaient face à face, sans échappatoire. Il n’y avait pas de promoteur pour faire interrompre la conversation, pas de montage à retoucher. C’était un moment authentique, brut, capturant une introspection que beaucoup préfèrent esquiver. Ce silence révélait une dynamique très différente de celle attendue lors des conférences de presse ou des entretiens médiatiques, offrant une proximité dangereuse qui balayait les artifices des combats : un ring, un arbitre, des gants, des règles. Ce moment semblait risqué mais revêtait une importance capitale, n’étant réservé qu’aux affrontements les plus attendus et aux boxeurs capables de tirer parti de ce format simple mais efficace.
Le dernier échange de poignées de main entre Carl Froch et George Groves résultait non seulement d’une intense rivalité, mais aussi de la fatigue. Ce même jour, les deux combattants avaient participé à un épisode de « Ringside » ainsi qu’à d’autres segments pour Sky Sports. Froch, en champion, avait fait le voyage depuis Nottingham, tandis que Groves, dans la proximité d’Isleworth, se vantait : « C’est une victoire de plus pour moi. » Son air caustique ne faisait que souligner le fait qu’il n’avait eu qu’à marcher au coin de la rue.
Pourtant, le mal-être de Froch fut atténué lorsqu’il accepta une offre d’héliport. Pendant ce temps, Groves, souffrant d’un méchant rhume, peinait à trouver le sommeil, son esprit tourbillonnant d’idées, de déclarations qu’il souhaitait formuler. « J’ai lu des articles récents pour me rappeler de ce que Froch pourrait dire, » expliquait-il, le regard fixé sur son ordinateur. « Froch parle de m’avoir mis KO en sparring plusieurs fois. Mais pourquoi en parle-t-il ? » Cette obsession pour ses sparrings révélait selon Groves une peur sous-jacente, Froch se reposant sur l’idée qu’il avait sous-estimé Groves lors de leur première rencontre.
Les dix minutes suivantes fut consacré à une préparation minutieuse. Groves, un élève avisé, s’immergea dans chaque article publié sur Froch, absorbant des citations malgré sa maladie. Un moment, il se pencha sur une soucoupe remplie d’eau bouillante, tentant de soulager son nez. « Je vais le bombarder de questions simples, mais encore et encore. » Sa détermination était palpable. « Se préparer à me combattre à nouveau, c’est une torture pour lui. L’argent est bien, mais il est lointain quand on doit passer par tous ces tracas. »
Convaincu de l’inconfort de Froch, Groves progressa dans ses pensées. « Je sais ce que je dois faire, » affirmait-il, en émettant des hypothèses sur la manière d’optimiser son apparence durant l’événement. Il se rendrait finalement sur place par ses propres moyens — un court trajet de huit minutes — tandis que Froch arriverait par hélicoptère deux heures plus tard.
Lors de leur enregistrement pour « Ringside », Froch parvenait à rester détaché, même dans les moments de pause publicitaire, partageant des échanges légers avec son promoteur Eddie Hearn. Au son de la chanson « The Man » d’Aloe Blacc, Groves murmura, « Tiens bon, Carl, ne te laisse pas aller. » Froch réussit à maintenir cette façade alors qu’il se préparait pour l’échange final.
Leurs interactions sur le plateau ne laissèrent rien transparaître. Groves, bien qu’il se soit montré satisfait de leur rencontre, se questionna plusieurs fois sur son agressivité et son rôle dominant. Froch, confortablement installé, ne semblait pas être pris au dépourvu. La suite? Une deuxième poignée de mains entre les deux boxeurs, maintenant sur le plateau de « The Gloves Are Off », tous deux sous l’œil vigilant de Johnny Nelson. Groves ne manqua pas de tirer profit de cette rencontre, exécutant son fameux « handshake » puissant. Froch, irrité, riposta, signalant à Groves que le jeu pourrait se retourner contre lui.
Il était clair que l’atmosphère avait changé, un sentiment d’agacement se mêlant à la fatigue ambiante. Froch continua de demeurer impassible, même lorsque Groves, lassé, se sentit piégé impatience et frustration, souhaitant le pousser hors de sa zone de confort. Groves, ressentant le poids de la déception sur son visage, s’interrogea : « J’étais un peu trop agressif ? »
Ni l’un ni l’autre ne mesurait alors la résonance que prendrait leur poignée de mains. Dix ans après, elle se transformera en une icône, symbole des confrontations qui suivront et de l’engouement suscité par de futurs combats. Le prix que cette image apporta à Sky Sports, et le standard qu’elle établit, signa un tournant dans le monde de la boxe, un format qui allait être redemandé – parfois à l’excès – sans vraiment d’innovations marquantes.
Des boxeurs de renom, comme Charles Martin, virent leur réputation embraser des rivalités inattendues, tandis que des anecdotes mémorables, comme celle de Tyson Fury avant son combat contre Wladimir Klitschko, apportaient une perspective nouvelle. La proximité et le danger de cette approche virent émerger des moments inestimables, mais, à travers les années, le format devint répétitif, les émotions s’en évaporant.
Peut-être que nous sommes arrivés à un point où chaque anticipation semble désormais fade, où chaque boxer cherche juste à créer du sensationnel pour devenir viral. L’essence et la tension naturelle qui accompagnaient autrefois ces confrontations ont souvent disparu au profit de contenus faciles à digérer. Au fond, la formule, devenue obsolète, n’apporte plus l’excitation d’antan.
Dix ans plus tard, la poignée de mains Froch-Groves souligne comment le monde de la boxe évolue. Fatigue, mal-être, et déception s’entremêlent dans un univers où l’enthousiasme a été troqué contre un flux continu de contenu, laissant en chacun un sentiment de nostalgie pour un temps passé où chaque rencontre avait un sens, un poids réel au-delà des mots échangés.