Joe Frazier : De l’ombre à la gloire
Le monde de la boxe professionnelle regroupe des lutteurs d’horizons divers, chacun ayant son propre parcours. Parmi ces destins, celui de Joe Frazier, né le 12 janvier 1944 en Caroline du Sud, se démarque singulièrement. Ce douzième enfant d’un fermier nommé Rubin et de sa femme Dolly a su transformer une enfance difficile en une carrière légendaire. Malgré son parcours, Joe a toujours admis avoir été un "petit garçon de papa" qui avait peur du noir.
Dans son autobiographie, il évoque : “Nous étions aussi proches qu’un père et son fils peuvent l’être. Je dirais que je suis sorti du ventre de ma maman pour aller dans les bras de mon père.” La famille Frazier vivait dans une maison rustique à six pièces, construite par Rubin et les enfants aînés. L’absence de confort moderne était frappante : “Je pouvais regarder en haut et dire quelle heure il était rien qu’en observant la lumière du soleil qui passait à travers le toit,” raconte Joe. En période de forte pluie, la nuit se transformait en bataille pour éviter l’inondation, avec des seaux placés habilement dans toute la maison. Les conditions de vie étaient ardues; il n’y avait pas d’eau courante, et la dépendance était située à 68 mètres de la maison, ce qui était un défi pour un jeune garçon effrayé par l’obscurité.
Pour ces raisons, chaque pièce avait un seau à bordel, permettant ainsi d’éviter d’affronter le danger de la nuit. C’est au sein de cette dynamique familiale que l’oncle de Frazier a aperçu en lui un potentiel de boxeur. À l’âge de huit ans, alors qu’il se distinguait par sa carrure musclée et son travail acharné à la ferme, son oncle a déclaré : “Ce garçon va devenir un autre Joe Louis.” Ému par ces mots, Joe s’est aussitôt mis au travail. Il a fabriqué un sac de frappe avec un vieux sac en jute et a commencé à s’entraîner quotidiennement pendant près de sept ans.
Sa ténacité le démarquait même à l’école, où il offrait sa protection à ses camarades contre les intimidateurs en échange de sandwiches. Mais l’enfance de Frazier n’a pas été qu’un long fleuve tranquille. Un jour, après avoir provoqué un cochon pesant environ 136 kg, il a pris peur et a chuté, se blessant au bras gauche ; une blessure qui l’accompagnerait toute sa vie. En raison de la pauvreté familiale, il n’y avait pas d’argent pour consulter un médecin, et son bras guérit de travers, s’achevant sur une position qui semblait prête à frapper.
Les repas étaient souvent frugaux et limités à des plats simples, comme du pain de maïs frit ou une ragoût de crabe. Les dimanches, en revanche, étaient des moments de célébration où la famille cuisinait un poulet élevé sur leurs terres. Joe se remémore également ces moments de rassemblement autour de son père, Rubin, où souvent, il prenait le volant lorsque celui-ci était trop ivre pour conduire.
Avec le temps, Frazier a hérité du penchant de son père pour les femmes et, adolescent, il s’est souvent retrouvé à explorer les villes voisines à la recherche de soirées et de conquêtes. Les tensions raciales de l’époque ne tardaient pas à se faire sentir, comme lorsque, à l’âge de quatorze ans, il a été victime d’une insulte raciste d’un garçon blanc. Toujours prêt à défendre son honneur, Frazier a répliqué et a déchaîné sa fameuse droite sur son agresseur, le mettant à terre d’un coup.
En parallèle, Frazier travaillait dans un ferme dirigée par deux frères blancs. Bien qu’il ait été bien traité par l’un d’eux, il est témoin d’une scène de brutalité où un jeune travailleur noir est sévèrement battu. En prenant la défense du jeune homme, Frazier a fait face aux représailles et a été contraint de quitter la ferme.
Sa mère, consciente des dangers que son fils pouvait rencontrer, lui a dit un jour : “Fiston, si tu ne peux pas te comprendre avec les Blancs, alors quitte la maison, car je ne veux rien d’autre que ta sécurité.” À l’âge de quinze ans, Joe Frazier a alors pris la décision audacieuse de partir pour Philadelphie avec un seul aller simple en poche.
Il allait devenir l’un des boxeurs les plus emblématiques de l’histoire. En moins d’une décennie, ce garçon qui avait grandi au sein de conditions modestes, vivait alors le rêve du champion du monde poids lourds. La force, la résilience et le sens de l’injustice qui l’habitait allaient lui permettre de marquer de son empreinte le monde de la boxe.